Billet d’humeur : Stranger Things saison 4

Je voulais vous parler de cette scène. Non. Il FALLAIT que je vous en parle. Pourquoi ? Je l’ignore. Voyez là éventuellement un exutoire à quelque chose qui m’obsède totalement. Tout ce que je sais, et visiblement je ne suis pas la seule, c’est que cette scène dans la saison 4 de Stranger Things a trouvé un écho en moi que je n’aurais pas soupçonné. Tâchons de savoir un peu pourquoi la symbolique de cette scène, au demeurant assez évidente, réussit néanmoins à frapper si fort.

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Stranger Things – Saison 4

Contexte

En janvier 2019 sortait Close, un film Netflix avec Noomi Rapace (qu’on retiendra pour tout sauf son rôle dans Prometheus) dans lequel elle incarne un CPO. Un garde du corps si vous préférez. Si le film n’est pas particulièrement marquant, sa scène d’intro a néanmoins touché quelque chose. Je l’ai senti en ce début de film comme Drive de Nicolas Winding Refn, sorti début des années 2010 : c’est à dire un film d’ambiance que par définition peu apprécieront.

Et c’est vrai que Close, il faut en vouloir pour rentrer dedans et y trouver un bon divertissement. Toujours est-il qu’à la fin de cette introduction dans laquelle est dépeinte une action type “choc et effroi” (comprenez rapide, forte et brutale), le titre du film apparaît sur Running Up That Hill, interprétée par Meg Myers. La mélancolie qui se dégage de la chanson m’a touchée à ce moment et elle a rapidement trouvé sa place au sein de ma bibliothèque de titres.

Running Up That Hill (A Deal With God)

Depuis, j’avais un peu oublié cette musique et je n’avais même jamais particulièrement cherché quoi que ce soit dessus, qu’il s’agisse de cover, de reprises ou de réarrangements. Aussi, c’est avec un sourire de contentement que je l’ai entendue dans ce début de saison 4 de Stranger Things, et ce sans même me douter qu’il s’agissait là d’un foreshadowing de l’importance qu’elle allait prendre au sein de cette première partie de saison.

C’est en effet dans les oreilles de Maxine “Max” Mayfield qu’on entend Running Up That Hill, de Kate Bush, un titre sorti en 85 (d’où sa place dans la série, la S4 prenant place cette année là) et extrait de l’album Hounds of Love

D’emblée, le titre est un succès et vient chatouiller le top 10 puis le top 3 de l’époque. Initialement intitulé A Deal with God, le label de Bush, Electrical and Musical Industries craint une réaction négative à un tel titre dans une amérique extrêmement croyante et puritaine. Par ailleurs, si Bush plia et changea le titre en Running up that hill, elle conserva le titre original en parenthèse derrière le nouveau titre, le nom complet de la chanson étant dorénavant Running up that hill (A Deal with God)

Une autre demande de EMI était de sortir Cloudbusting en premier titre de l’album, mais la compositrice-interprête campa sur ses positions et décida de conserver Running Up That Hill (A Deal with God) en tête car c’était selon elle la meilleure perspective de son album Hounds of Love. Et elle n’avait pas tort, le titre étant un succès occasionnant même un remix en 2012 de la part de Kate Bush elle-même qui sera joué lors de la cérémonie de clôture des Jeux Olympiques 2012. 

Enfin, le titre fut l’objet de nombreuse de reprises, entre autre de Within Temptation, Placebo et, comme susmentionné, Meg Myers

Et Stranger Things ?

Max écoute cette chanson qui déjà est utilisée de façon frontale pour illustrer la relation qu’elle entretient avec Lucas. Les deux adolescents s’aiment, mais apparaissent séparés en cette saison 4, ne parvenant pas à communiquer ni à se comprendre. Une chose dont le titre de Kate Bush parle notamment quand elle dit dans le refrain qu’elle aimerait conclure un pacte avec Dieu afin de pouvoir échanger leurs places.

Dans une interview en 92, Bush confirmera même qu’il s’agit bien là d’une référence à la difficulté, voire l’impossibilité, pour les hommes et les femmes de se comprendre, et que finalement la seule solution de comprendre l’autre serait d’échanger leurs places, que chacun se mette dans la peau de l’autre. Une chanson particulièrement bien choisie donc pour incarner la relation Lucas-Max dans cette saison 4… mais qui résonne particulièrement aux oreilles de votre rédactrice, fille transgenre, qui par définition a vu les “deux faces”. 

Plus tard dans la saison, dans l’épisode 4, Vecna commençant à enchaîner les frags dans la petite ville de Hawkins, ils s’aperçoivent que les personnes tuées sont victimes de visions avant de mourir. Mais pas n’importe lesquelles. Elles revivent leurs regrets, leurs échecs, leurs tourments. Vecna est un antagoniste qui se sert de vos remords pour vous détruire. Et Max s’avère être victime de telles visions, ce qui annonce sa mort prochaine dans les jours à venir. 

Et déjà on met le doigt sur une première thématique : la résignation. Dans la série, Max est convaincue qu’elle va mourir bientôt. Elle l’accepte : pour elle, il n’y a plus d’échappatoire. Elle fait donc des lettres pour toutes les personnes importantes à ses yeux qu’ils devront lire une fois qu’elle sera morte, disant elle-même qu’il y a beaucoup de choses qu’elle aimerait dire avant de mourir, mais qu’elle n’en a jamais eu le courage, jamais eu la force.

L’ambiance est surréaliste et même l’humour ne parvient pas à détendre une atmosphère pareille rendue encore plus poignante par l’interprétation de l’actrice : Sadie Sink

Le moment est viscéral, presque tout l’épisode est dédié à son écriture et la distribution des lettres aux gens chers à son coeur, comme un dernier au revoir avant le grand saut. Ce fut le premier coup de marteau que la série m’a mit. 

Pour tout vous dire, les dernières années n’ont pas été faciles. Vous me répondrez qu’elles ne le sont pas pour grand monde, et vous auriez raison, mais croyez-moi… ça n’a vraiment pas été facile. J’ai songé au suicide et jusqu’à récemment, j’y songeais encore, plus sérieusement que jamais. J’ai moi aussi écrit des lettres aux gens que j’aimais, que j’aime, quoi qu’au demeurant moins nombreux que ceux de Max. 

Ainsi, Max remet chaque lettre à son destinataire, gardant la dernière pour son frère Billy avec lequel elle entretenait une relation amour-haine lors de la saison 3 mais qui aura fini par affronter le Flagelleur Mental et se sacrifier pour sauver Onze. C’est alors qu’elle est à genoux devant la tombe de son frère, à lui parler, contenant son émotion à grande peine, que Vecna frappe. Il embarque l’esprit de sa victime dans le Monde à l’Envers, plongeant son corps physique dans une sorte de transe. Torturant Max comme les autres avant elle avec ses remords par rapport à son frère décédé, il la poursuit jusqu’à l’acculer et la capturer. 

En parallèle, menant une enquête sur de précédents meurtres de Vecna, Nancy et Robin découvrent que le seul survivant connu en a réchappé parce qu’une fois son esprit happé dans le Monde à l’Envers, il a suivi une musique qu’il entendait. Elles informent Dustin, Lucas et Steve, alors avec Max en transe et tentant de la réveiller désespérément que la musique est peut-être un moyen de la sauver. 

Dans le Monde à l’Envers, Vecna interroge Max sur ses pulsions de mort depuis qu’elle se sait condamnée et qu’elle s’est résignée à son destin. Elle ne répond pas et tente de prendre la fuite, vite arrêtée par Vecna et sa télékinésie qui se sert de tentacules pour la ligoter à un des obélisques présent dans la zone, d’autres de ces obélisques accueillant les cadavres brisés ses récentes victimes.

Et c’est alors que les garçons insèrent la cassette de Running up that hill (A Deal with God) dans le walkman de Max et lui font parvenir la chanson qu’elle entend d’une façon lointaine. Comme pour le survivant du premier massacre de Vecna, la musique fait son oeuvre et le voile écarlate du Monde à l’Envers se déchire, montrant à Max ses amis l’entourant et tentant de la réveiller.

Constatant la tentative, Vecna rétorque que ses amis ne peuvent pas la sauver. Que ce n’est pas pour rien qu’elle s’isole de ses amis. Que c’est parce que sa place est ici, avec lui. Il tend alors sa main pour commencer à tuer Max comme il a tué les autres…

Désespérée, Max entrevoit entre les doigts crochus la déchirure dans le Monde à l’Envers où ses amis tentent de la sauver, et fermant les yeux, elle se rappelle de tous les bons moments avec eux, prenant le total contrepied de la méthode de Vecna qui consiste à appuyer sur les remords et les regrets.

Trouvant la force de se libérer pendant que le monstre est concentré sur son oeuvre, elle le blesse et fuit vers la déchirure, la musique devenant plus forte à chaque instant ! Vecna, loin de se démonter, utilise ses pouvoirs pour faire tomber des morceaux de béton et de bâtiments sur elle tandis qu’elle fuit éperdument et à bout de force vers le portail.

Esquivant tout, le monstre en fait tomber d’autant plus mais rien ne parvient à arrêter la jeune fille… qui s’en sort finalement. 

Elle reprend pied dans la réalité, sortant de sa transe, en pleurs et entourée, réfugiée dans les bras de Lucas. Et elle a ses mots tandis que les notes principales en version orchestrale de Running up that hill (A Deal with God) résonnent dans le soleil couchant :

I’m still here. Je suis toujours là. Je ne suis pas partie. 

Pourquoi cette scène a-t-elle trouvé un écho particulier en moi ? Parce qu’elle est si symbolique de la dépression, de ses conséquences et de la difficulté à s’en sortir que pour toute personne en difficulté, elle touchera forcément une corde sensible. Et c’est mon cas. 

Durant de longues années, j’ai tenté de m’isoler des gens. Je pensais que je leur ferais du mal si je les gardais proche de moi, et je me débattais avec des expériences traumatiques avant de finalement me résigner à mourir.

J’ai eu mon propre Vecna dans ma vie et j’ai écris mes lettres. Mon monstre qui me disait que mes amis ne pouvaient rien pour moi. Que ma place était avec lui. Que je ne m’isolais pas d’eux pour rien. Que je savais à quel point j’étais quelqu’un de mauvais qui ne faisait que du mal. Et même si mon monstre n’est plus dans ma vie, il est encore dans ma tête et il va falloir des efforts colossaux pour tout reconstruire, pour avancer, pour ne pas écouter ce qu’il a planté dans mon esprit.

Ces efforts colossaux sont symbolisés par la fuite de Max : se rebeller contre son problème ou une mauvaise personne ne suffit pas. Il y a ensuite un effort important à fournir pour arriver jusque dans la réalité où attend une vie normale avec ses bas certes, mais aussi ses moments de bonheur contrairement à ce que Vecna veut faire croire en appuyant sur vos plus profonds démons, comme le ferait une dépression.

Et si lui se plaît à vous rappeler vos pires remords et regrets, ce sont bien les moments de bonheur qui vous donneront la force de vous battre pour un jour les retrouver. 

Si admettre qu’on a un problème est le premier pas pour le résoudre, avoir un but trace un cap vers cette résolution. Et les efforts seront de tenir ce cap jusqu’à sortir du Monde à l’Envers qui, comme la dépression et la douleur quand vous les subissez trop longtemps, distord totalement la réalité et vous empêche de voir clairement. 

Personne ne pourra échanger sa place avec vous. Personne ne pourra gravir cette route, personne ne pourra gravir cette colline, personne ne pourra gravir cet immeuble… sinon vous. 

La dépression et les troubles de santé mentale, car s’en est un symbole dans cette scène, sont bien réels. Max dit à Vecna qu’il n’existe pas, et il lui répond que si, qu’il est bien réel. Si la dépression et les troubles pouvaient nous parler, ils diraient sûrement un truc dans ce goût là. Ces choses sont des monstres diablement réels, bien trop et bien trop souvent. 

Il est d’ailleurs très intéressant d’un point de vue artistique que ce soit la musique qui serve d’ancre à Max dans cette scène. En effet, pour de nombreux patients, la musicothérapie est une alliée de poids sur le chemin pour s’en sortir. Belle allégorie donc.

Ainsi, oui, se battre est difficile, et c’est bien symbolisé par la fuite ardue de Max. Les emmerdes vous tombent dessus comme du béton armé sur elle, vous trébucherez, mais souvenez-vous : vous et vous seul décidez que vous ne pouvez plus vous relever. 

Là est la symbolique de cette scène : ne vous laissez pas enfermer, battez-vous, ne vous résignez pas. 

Je sais que pour celles et ceux qui me liront, c’est peut-être dur en ce moment. Et aucune garantie ne peut vous être offerte que ça s’arrangera sous peu. Je ne suis moi-même pas à un stade où je crois qu’un jour les choses iront mieux. Mais tout comme Max le réalise, il est au contraire certain que rien ne s’arrangera si on favorise l’abandon. Puisez de la force et courez vers de l’aide. Courez vers cette aide.

À toutes fins utiles je me permets de mettre en lien quelques ressources afin que vous trouviez cette aide plus facilement et je souhaiterais insister sur un dernier point : vous n’avez pas à culpabiliser d’aller mal. La santé mentale d’une personne est régie par les mêmes règles que pour sa santé physique, elle a tout autant d’importance et il n’y a ni à en avoir honte ni à en culpabiliser quand les événements de la vie vous poussent au fond du trou.

Quelques ressources :

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4 réflexions sur “Billet d’humeur : Stranger Things saison 4”

  1. Merci beaucoup pour ton compliment qui me va droit au coeur. C’est toujours un plaisir de savoir que notre travail est apprécié quand il est fait le coeur ouvert !

  2. Cette scène m’a beaucoup ému également, étant hypersensible j’ai été happé pas cette musique incroyable avec un vrai message. Très heureux de constater que ce passage en a touché plein d’un.e, merci pour ce beau texte qui ce lit comme il se déguste. Force et courage la vie est un cadeau ne l’oublions pas !

  3. Jean-Philippe Dion

    Magnifique texte Johanna! Tu es très agréable à lire, tu as énormément de talent. C’est en transformant le négatif en positif qu’on laisse les périodes sombres derrière nous. Merci de partager cette expérience avec nous, je crois que beaucoup de gens se retrouveront dans tes lignes. La vie est un cadeau et il faut la chérir même si parfois elle peut sembler d’une damnation, be running up that road!!!

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